Jean-Marie Wynants
« Patrick Guns ou l'art de secouer le cocotier »
in: Le Soir, 20 août 2014, p. 29
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http://mad.lesoir.be/
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L’art de Patrick Guns n’a rien de tranquille. Dès l’entrée dans le vaste vaisseau du Mac’s, on peut le comprendre avec une pièce inspirée par la technique des graffeurs et associant de manière iconoclaste la contraction du nom de Dieu et un jeu de mots potache de Marcel Duchamp. Dans une époque où les religions recommencent à jouer du bâton (et parfois beaucoup plus) vis-à-vis des non-croyants, la chose est osée. Elle l’est tout autant vis-à-vis des ayatollahs de l’art contemporain qui ne supportent pas que l’on touche à Duchamp, l’une de leurs icônes. Mais mettre les pieds dans le plat semble être un des grands plaisirs de Patrick Guns auquel le Mac’s consacre cet été une première grande exposition monographique. La suite du parcours n’est pas moins percutante. Toute la seconde salle est en effet consacrée à une série de grands dessins réalisés au bic bleu. La technique, longtemps utilisée par Jan Fabre, est toujours aussi troublante sur le plan plastique avec ces grands dessins où les volutes réalisées à l’aide de poignées de bics attachés les uns aux autres livrent des images d’une étonnante profondeur. Mais chez Patrick Guns, cette technique est directement liée à tout ce que cet outil graphique mondialement célèbre peut représenter. Symbole parfait de notre société de consommation (le bic n’est-il pas l’objet jetable par excellence ?), le bic a son logo : un petit personnage à la tête ronde comme la fameuse bille de ce stylo de l’ère moderne. C’est ce personnage que Patrick Guns fait intervenir dans chacune des œuvres de cette série : victime d’assaillants musclés, remplaçant le Christ dans une déposition sortie tout droit de la peinture classique ou pendu, en trois dimensions, au beau milieu de l’espace, comme lassé d’avoir été si souvent jeté, cassé, rongé, oublié… Ainsi va Patrick Guns entre humour au scalpel et regard sans concessions sur les tares de notre société. Sans discours ni idéologie contraignante, l’artiste met ses révoltes et ses coups de gueule en peinture, en dessin, en sculpture, en vidéo, en installation, en photographie… Ainsi, sa série My last meals, sans doute la plus connue, se déploie-t-elle magistralement dans la grande salle centrale. Traversant tout l’espace, un long couloir blanc et nu comme le couloir de la mort. De part et d’autre de celui-ci, des photos de grands cuisiniers présentant chacun un plat réalisé à la demande de l’artiste. Ayant découvert que le site web d’une prison texane diffusait les menus demandés par les condamnés à mort la veille de leur exécution, Patrick Guns en avait été profondément choqué. Il a alors décidé de demander à une série de chefs de réaliser ces menus à leur façon, pour leur donner une certaine noblesse, une parcelle d’humanité. Les images sont accompagnées de l’énoncé des menus en question montrant que ces hommes, parfois condamnés pour des faits atroces, ont pour la plupart voulu retrouver un goût d’enfance avant de mourir. Evoquant la guerre 14-18, la figure de Lumumba ou encore les institutions muséales, Guns réussit peut-être son œuvre la plus forte avec Nous sommes cent cinquante-deux. Que Dieu nous aide. Un mobile fait de morceaux de barque dont l’intérieur est couvert d’or. Une évocation poétique du drame des migrants africains mourant par centaine en tentant de gagner l’Europe sur de frêles embarcations. Entre les morceaux de barque éclatés et l’or qui hante leurs rêves, Patrick Guns livre là une pièce magistrale et d’une grande dignité.

Jean-Marie Wynants
« Patrick Guns ou l'art de secouer le cocotier »
in: Le Soir, 20 août 2014, p. 29
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http://mad.lesoir.be/
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L’art de Patrick Guns n’a rien de tranquille. Dès l’entrée dans le vaste vaisseau du Mac’s, on peut le comprendre avec une pièce inspirée par la technique des graffeurs et associant de manière iconoclaste la contraction du nom de Dieu et un jeu de mots potache de Marcel Duchamp. Dans une époque où les religions recommencent à jouer du bâton (et parfois beaucoup plus) vis-à-vis des non-croyants, la chose est osée. Elle l’est tout autant vis-à-vis des ayatollahs de l’art contemporain qui ne supportent pas que l’on touche à Duchamp, l’une de leurs icônes. Mais mettre les pieds dans le plat semble être un des grands plaisirs de Patrick Guns auquel le Mac’s consacre cet été une première grande exposition monographique. La suite du parcours n’est pas moins percutante. Toute la seconde salle est en effet consacrée à une série de grands dessins réalisés au bic bleu. La technique, longtemps utilisée par Jan Fabre, est toujours aussi troublante sur le plan plastique avec ces grands dessins où les volutes réalisées à l’aide de poignées de bics attachés les uns aux autres livrent des images d’une étonnante profondeur. Mais chez Patrick Guns, cette technique est directement liée à tout ce que cet outil graphique mondialement célèbre peut représenter. Symbole parfait de notre société de consommation (le bic n’est-il pas l’objet jetable par excellence ?), le bic a son logo : un petit personnage à la tête ronde comme la fameuse bille de ce stylo de l’ère moderne. C’est ce personnage que Patrick Guns fait intervenir dans chacune des œuvres de cette série : victime d’assaillants musclés, remplaçant le Christ dans une déposition sortie tout droit de la peinture classique ou pendu, en trois dimensions, au beau milieu de l’espace, comme lassé d’avoir été si souvent jeté, cassé, rongé, oublié… Ainsi va Patrick Guns entre humour au scalpel et regard sans concessions sur les tares de notre société. Sans discours ni idéologie contraignante, l’artiste met ses révoltes et ses coups de gueule en peinture, en dessin, en sculpture, en vidéo, en installation, en photographie… Ainsi, sa série My last meals, sans doute la plus connue, se déploie-t-elle magistralement dans la grande salle centrale. Traversant tout l’espace, un long couloir blanc et nu comme le couloir de la mort. De part et d’autre de celui-ci, des photos de grands cuisiniers présentant chacun un plat réalisé à la demande de l’artiste. Ayant découvert que le site web d’une prison texane diffusait les menus demandés par les condamnés à mort la veille de leur exécution, Patrick Guns en avait été profondément choqué. Il a alors décidé de demander à une série de chefs de réaliser ces menus à leur façon, pour leur donner une certaine noblesse, une parcelle d’humanité. Les images sont accompagnées de l’énoncé des menus en question montrant que ces hommes, parfois condamnés pour des faits atroces, ont pour la plupart voulu retrouver un goût d’enfance avant de mourir. Evoquant la guerre 14-18, la figure de Lumumba ou encore les institutions muséales, Guns réussit peut-être son œuvre la plus forte avec Nous sommes cent cinquante-deux. Que Dieu nous aide. Un mobile fait de morceaux de barque dont l’intérieur est couvert d’or. Une évocation poétique du drame des migrants africains mourant par centaine en tentant de gagner l’Europe sur de frêles embarcations. Entre les morceaux de barque éclatés et l’or qui hante leurs rêves, Patrick Guns livre là une pièce magistrale et d’une grande dignité.