Guy Duplat
« Le dernier repas - étoilé - du condamné »
in: La Libre Belgique, mardi 1er juillet 2014, p. 44
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http://www.lalibre.be
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Rétrospective Patrick Guns au Mac's. Il transforme en art ses indignations.
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Le monde ne va pas bien : des immigrés se noient devant Lampedusa, la publicité nous transforme en pur objet de consommation, les religions ont leurs dangereux extrémistes, « Big Brother » nous surveille… Il y a des artistes qui, posant ce regard critique, voire scandalisé, parviennent à transformer leurs révoltes en actes artistiques purs. Patrick Guns, né en 1962 à Bruxelles où il travaille, est de ceux-là. Et le Mac's, au Grand-Hornu, lui consacre une première rétrospective de son travail.
La belle architecture du musée a rarement été utilisé si justement, chaque espace étant comme dédié à une œuvre, à un « coup de gueule » de Patrick Guns. Denis Gielen, le commissaire, parle des œuvres de Patrick Guns comme des « chants d'amour, des soupirs de compassion, des lueurs de désir qui accompagnent les exilés, les déplacés, les condamnés, les déportés, les prisonniers ».
Le long couloir du Mac's est ainsi transformé en une image du « couloir de la mort » de condamnés à mort américains. Sur les murs, 28 photographies des « last meals », un travail emblématique dont l'écrivaine Amélie Nothomb parla longuement dans son roman Le Fait du prince. Patrick Guns avait découvert que la Justice du Texas avait l'impudence de diffuser sur Internet les « derniers repas » souhaités par les condamnés à mort. Souvent, des choses très simples : un hamburger, un pot de café, un poisson grillé, etc. Patrick Guns a alors contacté les grands chefs étoilés d'Europe et de New York, leur demandant de réaliser symboliquement ces "repas" et de poser à côté de ceux-ci. Le luxe suprême venant en quelque sorte soigner symboliquement l'ignominie de la mise à mort. On voit aux murs de grands chefs comme René Redzepi, du Noma à Copenhague, longtemps numéro un mondial, ou Sergio Herman du mythique Oud Sluis.
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Monsieur Bic
Patrick Guns peut, à chaque fois, totalement changer sa technique. Rendant hommage aux noyés de Lampedusa, il utilise parfaitement une salle du Mac's pour y montrer un gigantesque mobile dont les éléments sont des bouts de vraies barques de réfugiés, avec un côté peint à la feuille d'or (le mirage de l'or occidental). En arabe, il a écrit sur un morceau : « Nous sommes 152, que Dieu nous aide » (152 comme les naufragés de La Méduse de Géricault).
Il a demandé à un ami graffeur de réaliser à l'entrée de l'expo un graffiti typique mêlant les lettres YHVH, le nom de Dieu en hébreu, associé aux lettres LHOOQ que Marcel Duchamp écrivait sur la Joconde (« elle a chaud au cul »), une manière pour lui de dénoncer la menace sur l'art des extrémistes religieux comme les talibans plastiquant les bouddhas de Bamiyan, en 2001.
Une tout autre approche est choisie pour fustiger la société de consommation où chacun est ramené au destin de Monsieur Bic, petit bonhomme à la grosse tête ronde. Il a dessiné au Bic bleu de grands dessins couvrant une salle où on raconte la vie et la mort de Bic : de sa descente de Croix à son assassinat dans un film.
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Surveiller et punir
Il utilise intelligemment la grande salle carrée du fond pour nous y mettre dans le noir avec un seul objet, un point de lumière : une cabine de surveillance comme on en voit à l'entrée des musées. Elle est vide, les gardiens sont partis, seuls deux écrans captent des images d'une personne en fuite dans le musée (images d'un film d'Hitchock). Des bruits de pas résonnent dans le noir. Même un musée n'échappe pas à « Big Brother ».
Dans cette exposition stimulant la réflexion, et très aérée, une petite œuvre montre des « poilus » cachés derrière une vraie feuille, le camouflage de la guerre. Deux dents en or sont dans une vitrine, celles prises à Lumumba avant que son corps soit passé à l'acide. A côté, des pop corn dorés, symbolisant le rôle des Etats-Unis derrière ce crime.
Avec Patrick Guns, on a un art politique mais qui emprunte des chemins poétiques et singuliers, n'hésitant pas à user de la beauté consolante, comme les lucioles dont parlait Pasolini, qui brillaient dans la nuit alors que « nous étions secs, dans un vagabondage artificiel ».

Guy Duplat
« Le dernier repas - étoilé - du condamné »
in: La Libre Belgique, mardi 1er juillet 2014, p. 44
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http://www.lalibre.be
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Rétrospective Patrick Guns au Mac's. Il transforme en art ses indignations.
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Le monde ne va pas bien : des immigrés se noient devant Lampedusa, la publicité nous transforme en pur objet de consommation, les religions ont leurs dangereux extrémistes, « Big Brother » nous surveille… Il y a des artistes qui, posant ce regard critique, voire scandalisé, parviennent à transformer leurs révoltes en actes artistiques purs. Patrick Guns, né en 1962 à Bruxelles où il travaille, est de ceux-là. Et le Mac's, au Grand-Hornu, lui consacre une première rétrospective de son travail.
La belle architecture du musée a rarement été utilisé si justement, chaque espace étant comme dédié à une œuvre, à un « coup de gueule » de Patrick Guns. Denis Gielen, le commissaire, parle des œuvres de Patrick Guns comme des « chants d'amour, des soupirs de compassion, des lueurs de désir qui accompagnent les exilés, les déplacés, les condamnés, les déportés, les prisonniers ».
Le long couloir du Mac's est ainsi transformé en une image du « couloir de la mort » de condamnés à mort américains. Sur les murs, 28 photographies des « last meals », un travail emblématique dont l'écrivaine Amélie Nothomb parla longuement dans son roman Le Fait du prince. Patrick Guns avait découvert que la Justice du Texas avait l'impudence de diffuser sur Internet les « derniers repas » souhaités par les condamnés à mort. Souvent, des choses très simples : un hamburger, un pot de café, un poisson grillé, etc. Patrick Guns a alors contacté les grands chefs étoilés d'Europe et de New York, leur demandant de réaliser symboliquement ces "repas" et de poser à côté de ceux-ci. Le luxe suprême venant en quelque sorte soigner symboliquement l'ignominie de la mise à mort. On voit aux murs de grands chefs comme René Redzepi, du Noma à Copenhague, longtemps numéro un mondial, ou Sergio Herman du mythique Oud Sluis.
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Monsieur Bic
Patrick Guns peut, à chaque fois, totalement changer sa technique. Rendant hommage aux noyés de Lampedusa, il utilise parfaitement une salle du Mac's pour y montrer un gigantesque mobile dont les éléments sont des bouts de vraies barques de réfugiés, avec un côté peint à la feuille d'or (le mirage de l'or occidental). En arabe, il a écrit sur un morceau : « Nous sommes 152, que Dieu nous aide » (152 comme les naufragés de La Méduse de Géricault).
Il a demandé à un ami graffeur de réaliser à l'entrée de l'expo un graffiti typique mêlant les lettres YHVH, le nom de Dieu en hébreu, associé aux lettres LHOOQ que Marcel Duchamp écrivait sur la Joconde (« elle a chaud au cul »), une manière pour lui de dénoncer la menace sur l'art des extrémistes religieux comme les talibans plastiquant les bouddhas de Bamiyan, en 2001.
Une tout autre approche est choisie pour fustiger la société de consommation où chacun est ramené au destin de Monsieur Bic, petit bonhomme à la grosse tête ronde. Il a dessiné au Bic bleu de grands dessins couvrant une salle où on raconte la vie et la mort de Bic : de sa descente de Croix à son assassinat dans un film.
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Surveiller et punir
Il utilise intelligemment la grande salle carrée du fond pour nous y mettre dans le noir avec un seul objet, un point de lumière : une cabine de surveillance comme on en voit à l'entrée des musées. Elle est vide, les gardiens sont partis, seuls deux écrans captent des images d'une personne en fuite dans le musée (images d'un film d'Hitchock). Des bruits de pas résonnent dans le noir. Même un musée n'échappe pas à « Big Brother ».
Dans cette exposition stimulant la réflexion, et très aérée, une petite œuvre montre des « poilus » cachés derrière une vraie feuille, le camouflage de la guerre. Deux dents en or sont dans une vitrine, celles prises à Lumumba avant que son corps soit passé à l'acide. A côté, des pop corn dorés, symbolisant le rôle des Etats-Unis derrière ce crime.
Avec Patrick Guns, on a un art politique mais qui emprunte des chemins poétiques et singuliers, n'hésitant pas à user de la beauté consolante, comme les lucioles dont parlait Pasolini, qui brillaient dans la nuit alors que « nous étions secs, dans un vagabondage artificiel ».