Claude Lorent
« L'existence serait-elle absurde ? »
in: Arts Libre, supplément à La Libre Belgique, n° 61, semaine du 28 mai au 3 juin 2010, p. 4-5
.
.
En une série de grands dessins au Bic et au crayon, le plasticien belge Patrick Guns met en scène le citoyen lambda confronté à son destin.

Le bonhomme Bic avec sa tête ronde, totalement inexpressive puisque lisse, sans yeux, sans aucun orifice, semblable à une boule de bilboquet que l'on tente inlassablement de poser sur son support, ce bonhomme-là, neutre, parfait Monsieur Tout-le-monde, individu lambda comme on dit aujourd'hui, est une icône de notre société. Il est partout, semblable à lui-même, absurde, profondément absurde dans sa vie inlassablement répétitive. Il subit sa vie au quotidien, aspire comme y-tout un chacun au bonheur, au bien-être, tout en sachant qu'au bout de la route ou, qu'en cours de chemin, il y aura l'arrêt fatal.

Cet être en quelque sorte universel, Patrick Guns le ballade de dessin en dessin, tous réalisés au stylo-bille bleu. Et l'on n'est pas surpris que l'artiste en réfère à Albert Camus, particulièrement à Meursault, le héros de L'Etranger, qui préférera la mort plutôt que les mensonges de la société. On le voit boxeur mais sans adversaire visible, en pendu, en assassin… Et là, ce peut-être Camus qui revient, à travers Meursault quand il dit : « C'est alors que tout a vacillé. (…) Tout mon être s'est tendu, j'ai crispé ma main sur le revolver. »
Une autre série de dessins, au crayon noir cette fois, y font directement référence par le biais de l'actualité puisque le revolver présent sur l'image affirme avoir tué des Iraniens, des Palestiniens, des Tchétchènes… et un autre. La terrible banalisation du quotidien est là en quelques mots et en une image de simple constat, sans effet, sans l'horreur. Une réalité que l'on se contente d'énoncer dans une forme d'évidence. Le dessin est précis, net, sans fioriture, le message est clair et froid comme un rapport administratif. Pas de sentiment.
Et l'on revient sur un autre dessin, un grand bleu un peu plus tendre dans les tons, une cage avec barreaux et le bonhomme cerné, pris, enfermé alors que la porte est ouverte. N'y aurait-il pas de sortie possible ? Serait-il définitivement coincé à ne savoir où aller pour sortir de ce monde qui assiste silencieux ou presque à cet abîme dans lequel semble s'enfoncer l'être humain ?
La vision de Patrick Guns n'est pas réjouissante et pour se faire entendre de tous, elle peut emprunter les formes les plus diverses de l'expression et aller, avec la complicité d'un spécialiste du genre, Eyes-B, jusqu'à la peinture murale, façon street art et graffiti, effectuée avec soin malgré l'urgence car il y aussi une mûre réflexion avant d'écrire : « YHVH.H.O.O.Q. » Et là pas besoin d'interprète avec l'aide de Duchamp et de la Joconde.
Et quand cette vision emprunte la référence cinématographique hitchcockienne, c'est pour broyer du noir, quand elle fait appel au zeppelin du Scarface de De Palma, c'est pour nous servir dans toutes les langues et non sans une once de cynisme : The World is Yours !

Claude Lorent
« L'existence serait-elle absurde ? »
in: Arts Libre, supplément à La Libre Belgique, n° 61, semaine du 28 mai au 3 juin 2010, p. 4-5
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En une série de grands dessins au Bic et au crayon, le plasticien belge Patrick Guns met en scène le citoyen lambda confronté à son destin.

Le bonhomme Bic avec sa tête ronde, totalement inexpressive puisque lisse, sans yeux, sans aucun orifice, semblable à une boule de bilboquet que l'on tente inlassablement de poser sur son support, ce bonhomme-là, neutre, parfait Monsieur Tout-le-monde, individu lambda comme on dit aujourd'hui, est une icône de notre société. Il est partout, semblable à lui-même, absurde, profondément absurde dans sa vie inlassablement répétitive. Il subit sa vie au quotidien, aspire comme y-tout un chacun au bonheur, au bien-être, tout en sachant qu'au bout de la route ou, qu'en cours de chemin, il y aura l'arrêt fatal.

Cet être en quelque sorte universel, Patrick Guns le ballade de dessin en dessin, tous réalisés au stylo-bille bleu. Et l'on n'est pas surpris que l'artiste en réfère à Albert Camus, particulièrement à Meursault, le héros de L'Etranger, qui préférera la mort plutôt que les mensonges de la société. On le voit boxeur mais sans adversaire visible, en pendu, en assassin… Et là, ce peut-être Camus qui revient, à travers Meursault quand il dit : « C'est alors que tout a vacillé. (…) Tout mon être s'est tendu, j'ai crispé ma main sur le revolver. »
Une autre série de dessins, au crayon noir cette fois, y font directement référence par le biais de l'actualité puisque le revolver présent sur l'image affirme avoir tué des Iraniens, des Palestiniens, des Tchétchènes… et un autre. La terrible banalisation du quotidien est là en quelques mots et en une image de simple constat, sans effet, sans l'horreur. Une réalité que l'on se contente d'énoncer dans une forme d'évidence. Le dessin est précis, net, sans fioriture, le message est clair et froid comme un rapport administratif. Pas de sentiment.
Et l'on revient sur un autre dessin, un grand bleu un peu plus tendre dans les tons, une cage avec barreaux et le bonhomme cerné, pris, enfermé alors que la porte est ouverte. N'y aurait-il pas de sortie possible ? Serait-il définitivement coincé à ne savoir où aller pour sortir de ce monde qui assiste silencieux ou presque à cet abîme dans lequel semble s'enfoncer l'être humain ?
La vision de Patrick Guns n'est pas réjouissante et pour se faire entendre de tous, elle peut emprunter les formes les plus diverses de l'expression et aller, avec la complicité d'un spécialiste du genre, Eyes-B, jusqu'à la peinture murale, façon street art et graffiti, effectuée avec soin malgré l'urgence car il y aussi une mûre réflexion avant d'écrire : « YHVH.H.O.O.Q. » Et là pas besoin d'interprète avec l'aide de Duchamp et de la Joconde.
Et quand cette vision emprunte la référence cinématographique hitchcockienne, c'est pour broyer du noir, quand elle fait appel au zeppelin du Scarface de De Palma, c'est pour nous servir dans toutes les langues et non sans une once de cynisme : The World is Yours !