Colette Dubois
« Patrick Guns »
in: (H)art, n° 26, 27 septembre 2007, p. 25
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« I like Africa and Africa likes Me », titre de l’exposition que Patrick Guns (°1962) présente actuellement chez Elaine Lévy Project, réfère bien sûr à l’enregistrement de la performance que Joseph Beuys avait réalisé en 1974 à la Galerie René Bloch à New York : même noir et blanc neigeux, mêmes cadrages, mêmes postures des artistes. Mais si Beuys s’enfermait avec un coyote pour cohabiter avec lui, Guns entre dans l’enclos de trois lions pour accomplir une tâche : enterrer deux dents suggérant les seuls restes de Patrice Lumumba après son assassinat et l’élimination de sa dépouille. Et pour pouvoir exécuter ce travail, il jette en pâture aux fauves des journaux aux titres qui évoquent le colonialisme. On retrouve ces dents mises en scène dans « Les Osselets », un écrin de velours contenant deux dents en or et trois osselets en bronze.
Au centre de l’exposition donc, l’Afrique, le Congo et plus particulièrement la figure de Lumumba. En interrogeant ainsi le passé colonial de notre pays, Patrick Guns questionne tout autant l’oubli et ses méthodes comme l’effacement ou l’élimination.
Les deux grands tableaux à la mine de plomb intitulés « Les Gommes » sont particulièrement intéressants à cet égard. L’artiste a reproduit, en les agrandissant, des fragments du discours de Patrice Lumumba lors de la déclaration d’indépendance du Congo. L’un se voit particulièrement effacé, mais derrière les traces du frottement du caoutchouc sue le papier, les mots restent lisibles et le maintien du mot « applaudissements » conserve à cette parole la force d’un événement qui a bel et bien eu lieu. Dans le deuxième, le tracé de la gomme dessine une silhouette penchée, celle du roi Baudouin, perturbé par les propos qu’il entend, une simple ombre sur les mots.
L’Afrique se présente aussi sous la forme de l’image, le dessin « Femme et Plateau » déjoue la représentation ethnographique classique en associant au personnage une sous-tasse décorée comme les porcelaines anciennes, et « Le Mobile » fait de débris de barque peints ou dorés à la feuille laisse ses éléments flotter dans les airs, sans place précise, comme les réfugiés.
En utilisant ainsi le recyclage de formes, en pratiquant le détournement de figures, en pointant le lieu de rencontre entre traditionnel et actuel, guns se fait ici porte-parole d’une culpabilité collective. Il se place en son centre : le cercle chromatique qu’il nomme « Portrait, même » est la surface exacte de sa peau déclinée en autant de nuances allant du marron clair au marron foncé de ce que la « science » du 19ème siècle (en fait le « racisme scientifique ») définissait comme couleurs de peau au Congo.

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Colette Dubois
« Patrick Guns »
in: (H)art, n° 26, 27 septembre 2007, p. 25
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« I like Africa and Africa likes Me », titre de l’exposition que Patrick Guns (°1962) présente actuellement chez Elaine Lévy Project, réfère bien sûr à l’enregistrement de la performance que Joseph Beuys avait réalisé en 1974 à la Galerie René Bloch à New York : même noir et blanc neigeux, mêmes cadrages, mêmes postures des artistes. Mais si Beuys s’enfermait avec un coyote pour cohabiter avec lui, Guns entre dans l’enclos de trois lions pour accomplir une tâche : enterrer deux dents suggérant les seuls restes de Patrice Lumumba après son assassinat et l’élimination de sa dépouille. Et pour pouvoir exécuter ce travail, il jette en pâture aux fauves des journaux aux titres qui évoquent le colonialisme. On retrouve ces dents mises en scène dans « Les Osselets », un écrin de velours contenant deux dents en or et trois osselets en bronze.
Au centre de l’exposition donc, l’Afrique, le Congo et plus particulièrement la figure de Lumumba. En interrogeant ainsi le passé colonial de notre pays, Patrick Guns questionne tout autant l’oubli et ses méthodes comme l’effacement ou l’élimination.
Les deux grands tableaux à la mine de plomb intitulés « Les Gommes » sont particulièrement intéressants à cet égard. L’artiste a reproduit, en les agrandissant, des fragments du discours de Patrice Lumumba lors de la déclaration d’indépendance du Congo. L’un se voit particulièrement effacé, mais derrière les traces du frottement du caoutchouc sue le papier, les mots restent lisibles et le maintien du mot « applaudissements » conserve à cette parole la force d’un événement qui a bel et bien eu lieu. Dans le deuxième, le tracé de la gomme dessine une silhouette penchée, celle du roi Baudouin, perturbé par les propos qu’il entend, une simple ombre sur les mots.
L’Afrique se présente aussi sous la forme de l’image, le dessin « Femme et Plateau » déjoue la représentation ethnographique classique en associant au personnage une sous-tasse décorée comme les porcelaines anciennes, et « Le Mobile » fait de débris de barque peints ou dorés à la feuille laisse ses éléments flotter dans les airs, sans place précise, comme les réfugiés.
En utilisant ainsi le recyclage de formes, en pratiquant le détournement de figures, en pointant le lieu de rencontre entre traditionnel et actuel, guns se fait ici porte-parole d’une culpabilité collective. Il se place en son centre : le cercle chromatique qu’il nomme « Portrait, même » est la surface exacte de sa peau déclinée en autant de nuances allant du marron clair au marron foncé de ce que la « science » du 19ème siècle (en fait le « racisme scientifique ») définissait comme couleurs de peau au Congo.

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